La pêche en rivière en 1776

extrait du Traité des pêches de J.E. Bertrand - in Dictionnaire des arts et métiers, Neuchâtel, 1776

Labourd

« 745. Quand on a traversé le Bourdelais, on entre dans le pays qu'on nomme de Labour, qui confine à une grande étendue de

côte, fur laquelle on trouve plusieurs petits ports de pécheurs, & particulièrement l'embouchure de la rivière de Bayonne, ce

qu'on appelle la Tête-de-Buch , &Saint-Jean-de-Luz.

746. Il y a à Bayonne une compagnie de matelots, qu'on nomme tillotìers ; ce sont proprement les pêcheurs de la rivière, qui

remontent depuis la dernière rade jusqu'à cinq lieues au-dessus de Bayonne : ils rapportent de petites soles, des sardines, des

plies & des mules, le tout en petite quantité.

747. Vers l'embouchure de la rivière, il y a des pécheurs qui vont jusqu'à dix lieues en mer, faire les pêches à la ligne, dont nous

parlerons dans un instant. Ce font eux qui fournissent Bayonne de poisson frais, quoique le plus beau se tire de Saint-Sébastien

du côté de l'Espagne,& de Buch qui est à la côte de France.

748. Les paysans établis au bord de la rivière, depuis Bayonne jusqu'à Dacqs, fournissent la ville d'aloses : cependant il y a en

outre deux nasses qui traversent la rivière, une à cinq lieues de Bayonne, & une autre à une lieue & demie au-dessus, dans

lesquelles on prend beaucoup de poissons, surtout des aloses. La rivière de Gave se décharge dans l'Adour, qui traverse Bayonne

; car en remontant le Gave, on trouve deux nasses, où l'on prend, entr'autres poissons, des saumons. L'hiver on en transporte

une partie en Espagne, où l'on en trouve un débit avantageux.

749. Quoique j'aie rapporté , dans la seconde section, différentes façons de pêcher avec des trubles, je vais encore détailler une

pêche de même genre, qui m'a été communiquée par M. Vanduffel de Bayonne. Le filet qu'on nomme manche sur les rivières de

ce quartier, forme une poche, & son embouchure est montée sur un cercle : un homme le tient par le manche, plongé

entièrement dans l'eau, en opposant au courant l'embouchure du filet ; & dès qu'il sent quelque mouvement, il relevé le filet,

avec le poisson qui reste dans la poche. On prend ainsi de toutes sortes de petits poissons.

750. J'ai, continue M. Vanduffel, des moulins où je pèche, avec un pareil filet, des tanches, des brochets, &c. Un homme se met

dans l'eau jusqu'à la ceinture, dans les endroits étroits où il y a beaucoup de courant : il y plonge son filet ; & pour déterminer le

poisson à donner dedans, on bat l'eau fur les côtés. De plus, on prend dans les petites rivières, des truitons avec de vrais verveux

qu'ils nomment nasses.

751. Pour prendre des truites avec des hameçons, on ajuste à l'hain une plume de duvet, qu'on fait mouvoir à la surface de l'eau

; & les truites prenant ce leurre pour un insecte, sautent dessus & se prennent. On peut consulter, sur cette façon de pécher, ce

que nous avons dit dans la première section, sur les insectes artificiels, & sur la manière de pécher à la perche volante.

752. Nous avons dit qu'on prend des saumons dans l'Adour, avec de grands filets qu'on nomme nasses. Mais dans le Gave, le

cours de l'eau est arrêté par des digues qui barrent la rivière, ainsi que nous l'expliquerons dans l'article où nous traiterons

expressément de ce poisson.

753. Je sors de la rivière, pour parcourir la côte maritime. On ne trouve sur cette grande côte ni parcs, ni courtines, ni écluses ;

mais on fait usage de verveux semblables à ceux des environs de l'Adour. Comme les courans sont très-violens, on se sert peu de

filets. On tend cependant des tramaux dans les endroits où il y a peu de courant, & l'on prend différens poissons, entr'autres des

bourgeois. Je ferai néanmoins remarquer que le filet, que les pêcheurs de cette côte nomment rets bourgeois, est une vraie folle

pierrée & flottée, qu'on tend sédentaire & par fond; ils ont cinquante pieds de longueur, trois pieds de chute ; & avec ces filets,

dont ils joignent plusieurs pieces bout à bout, ils prennent des muges , des raies , des bourgeois, &c. Mais les pèches de ces

quartiers se font communément avec des hains, ainsi que nous allons l'expliquer.

754. Depuis le 15 ou le 20 d'avril, jusqu'au mois d'octobre, on s'occupe de la pèche du thon : pour cela, neuf & jusqu'à douze

matelots se mettent dans une double chaloupe ; entre ces matelots, il y a quelques jeunes gens qui se forment par la pèche du

thon à celle de la morue. Ces pêcheurs se portent depuis six jusqu'à vingt lieues au large. Quand les thons paraissent en

quantité, & que la pèche donne bien, étant partis de grand matin, ils peuvent revenir le soir chez eux ; mais quand la pêche est

ingrate, ils sont cinq à six jours fans rentrer. Cette pèche se fait à la ligne, toujours sous voile. Au commencement de leur pèche,

ils amorcent avec un leurre qui représente une sardine ; mais autant qu'ils le peuvent, ils embecquent leurs hains avec quelques

morceaux de poisson. La ligne est ordinairement longue de deux cents brasses ; chaque matelot jette la sienne à la mer, & il

arrive quelquefois qu'on les retire toutes garnies chacune d'un thon, dont quelques-uns pèsent deux cents livres.

755. Depuis le commencement d'octobre, jusqu'au mois de novembre, ils pèchent pendant la nuit & à l'ancre, des raies, des

anguilles, des chats de mer. Pour cela, huit à dix hommes qui se mettent dans une chaloupe, s'écartent de la côte de trois ou six

lieues au plus : alors, avant des lignes de cent brasses de longueur, au bout desquelles est un hain proportionné à la grosseur des

poissons qu'ils se proposent de prendre, & amorcé avec quelque morceau de poisson, ils attachent, à la distance d'une brasse de

l'hameçon, un plomb qui repose sur le fond. On jette autant de lignes qu'il y a de pécheurs dans la chaloupe; & chacun retire sa

ligne, quand il sent qu'un poisson a mordu. Ordinairement ils ne reviennent à terre qu'après avoir passé deux ou trois nuits à la

mer.

756. Depuis le mois de novembre jusqu'en février ils prennent des congres : depuis le mois de décembre jusqu'à la fin de mars,

les mêmes pécheurs vont prendre des rousseaux, des merlus, des meroux. Cette pèche se fait encore à la ligne & à l'ancre dans

de doubles chaloupes; mais les pécheurs ne vont pas plus d'une lieue au large, & reviennent tous les jours chez eux. On attache

au bout d'une ligne longue de trente brasses, un plomb; & tout du long , de distance en distance, des hains amorcés de sardines

mêlées avec de la chair de bœuf: au bout de cette ligne qui porte les hains, on en attache une qui est plus grosse, & qui a cent

cinquante brasses de longueur. Ainsi cette façon de pécher aux cordes est à peu près semblable à celles qui font en usage sur la

côte de Haute-Normandie. On prend avec ces hains beaucoup de rousseaux, dont on trouve le débit chez les Espagnols, qui en

sont très-friands.

757. On tend des trubles, des haveneaux & des paniers, pour prendre de petites chevrettes, qui fervent à amorcer les hains.

758. Enfin, on va entre les rochers prendre différens poissons avec des gaffeaux, qui la plupart sont faits avec trois gros hains

qu'on ajuste au bout d'une perche.

759. Outre ces petits pèches, les matelots Gascons & Basques vont à la pèche de la morue, & quelquefois à celle de la baleine ;

mais comme nous nous proposons de traiter expressément de ces grandes pèches, nous n'en dirons rien ici.»

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