Le Passage, port français
Le gouvernement révolutionnaire avait tenté d'obtenir le port basque de Pasajes du roi d'Espagne, après l'avoir envahi en 1794,
mais la ville de Saint Sébastien s'y était violemment opposée. En janvier 1808, Napoléon I annexe le pays Basque et envoie sur
place à Pasajes un commissaire de la Marine
enquêter sur l'intérêt de ce port. C'est le rapport
de ce dernier, achevé le 11 mars 1808, que nous
présentons ici.
extrait du Mémoire intéressant et très détaillé
sur le beau Port du Passage - 1808
"La facilité avec laquelle les marins ont pu de
tout temps aborder le port du Passage, lui a
donné son origine. Des pêcheurs de poisson
fraie, qui partaient de St. Jean de Luz, de
Guétary, de Bidart, de Biarritz, de Capbreton
même, surpris au large par la tempête et la
grosse mer, ne pouvant plus aborder les ports
d’où ils étaient sortis, se réfugiaient au Passage
où ils trouvaient un asile sûr, une mer tranquille.
Les fréquentes retraites qu’ils étaient forcés d’y
faire, les déterminèrent à y établir des cabanes,
et c’est à ces pêcheurs et à la nécessité qu’ils
éprouvaient que l’on doit les premières traces
d’habitation dans ce port.
Ces traces ne sont point encore effacées. Le
jargon que le peuple parle au Passage, est un mélange de basque et de gascon, tel qu’on le parle à Biarritz, jargon qui n’est point
connu dans les villages qui avoisinent ce port ; néanmoins les deux langues, basque et Espagnole y sont en usage, comme dans les
autres provinces.de Guipuscua, de Biscaye et de Navarre.
Les habitants du pays imitèrent les pêcheurs français. Ils bâtirent leurs habitations à l’Est & à l’Ouest du port, en les adossant aux
montagnes qui s’élèvent à des hauteurs prodigieuses & qui le bordent: la partie de l’Est est connue sous la dénomination de banda
de Francia, celle de l’Ouest, de banda d’España.
La ville de St. Sébastien, longtemps après, et lorsque déjà les navigateurs avoient connaissance du Passage, y fit bâtir dans la banda
d’España, une tour ou batterie, à qui elle donna son nom. Elle servit de demeure à un envoyé du Consulat de St. Sébastien, qui
faisait les fonctions de capitaine du port et qui percevait des capitaines de navires les divers droits auxquels ils étaient imposés.
Sur la rive opposée, le Gouvernement fit établir une petite batterie, appelée de San Juan ou del Mirador, sur laquelle on plaça deux
canons, et à cent vingt toises environ allant vers la mer et sur la même rive une autre peu forte nommée Sta. Izabella : Cette
dernière pourrait avantageusement défendre l’entrée du port si elle était armée.
Enfin le gouvernement y fit bâtir un chantier de construction. Il permit à la Compagnie des Philippines d’y former un établissement
pour son commerce des Indes; et comme le gouvernement, elle y construisit un grand chantier. Sur le premier on a construit des
Vaisseaux, les deux derniers en 1781, étaient de 74 canons le St. Germain et le St. Sébastien ; sur le second la compagnie a fait des
bâtiments de plus de 800 Tonneaux.
La propriété de ce port à été longtemps en litige entre la ville de St. Sébastien et la commune du Passage. Ce procès ruineux a duré
plus d’un siècle. Le Roi a mis fin à ce différend, et le Passage est devenu port militaire, où il a été établi par le Roi un capitaine qui y
est chargé de la police de la rade. Après avoir parlé de son origine, des langues qu’on y parle et de sa propriété, il est nécessaire de
le faire connaître sous d’autres rapports.
Le port du Passage, comme l’on sait, a son entrée Nord et Sud. Dans l’état où il se trouve, il ne peut être considéré que comme port
de relâche: Mais sous ce rapport, il est soit en temps de guerre, soit en temps de paix, recherché par tous les navigateurs qui
viennent du large, et auxquels le temps ne permet pas d’aborder celui de leur destination.
C’est là aussi que les bâtiments de l'Etat cherchent fréquemment un asile en temps de guerre, lorsqu’ils craignent de rencontrer les
ennemis dans les pertuis ou par le travers de Cordouan. C’est dans ce port que jettent l’ancre les bâtiments qui viennent des Indes
orientales, s’ils ont la crainte de trouver des ennemis à l’entrée des ports pour lesquels ils sont destinés; ils y viennent avec d’autant
plus de sécurité, qu’ils sont persuadés de ne point trouver des ennemis assez entreprenants pour oser serrer le port du Passage de
près.
Si, sans craindre de se tromper on peut le citer comme port de relâche, on peut avec le même sentiment, le considérer et le
présenter comme port avantageux à l’Empire Français et sous le rapport de sa position topographique et sous celui de la sécurité
avec laquelle les bâtiments peuvent y être mouillés.
Son entrée, son bassin, son étendue, semblent inviter les hommes à y construire, à y former un port militaire immense, sûr, d’un
facile accès, d’une grande ressource en temps de guerre. Voilà ce qui engage à le présenter sous ce dernier rapport.
Sous le premier qu’elle situation peut lui être comparée? Aucune, du moins dans le golfe de Biscaye et de Gascogne où la mer est
courroucée la moitié de l’année où un port est si utile, si précieux pour les relâches forcées, et où elle même semble vouloir diriger
le navigateur qui vient ou doit s’engolfer.
L’intérieur de la rade du Passage est saine, il n’y a pas de rocher, si ce n’est à l’extrémité, en se dirigeant vers St. Sébastien; mais
pour qu’on fut obligé de mouiller des bâtiments dans cette partie du port, il faudrait supposer qu’il y en aurait déjà cinq à six cents
en rade.
L’intérieur doit nécessairement être curé. On en jugera en apprenant que le plus petit canot ne peut plus aller à basse mer, là où
Croient mouillés, il y a cinquante ans, les plus grands bâtiments baleiniers qui ne touchaient point à basse-mer de vives eaux. Ce
fait prouve évidemment qu’il est facile de curer cette rade, et atteste la négligence des anciens prétendus propriétaires du port, qui
ne nettoyaient que la partie que dévoient parcourir les bâtiments soit du Roi, soit de la compagnie, lors de leur mise à l’eau, c’est à
dire une ligne plus ou moins prolongée seulement.
Pour le prouver d’une manière plus frappante encore, il n’y a qu’à indiquer ici la cause de l’amoncèlement des sables et des vases
dans l’immense bassin du Passage. Dans ce port affluent la petite rivière D’Oyason (Oyarzun - NDLR) et une quantité de petits
ruisseaux qui prennent leur source dans les collines des montagnes qui environnent et bordent ce port.
Lorsque les pluies d’été & que la fonte de neiges sont abondantes, cette petite rivière et ces ruisseaux augmentent au point que le
volume de leurs eaux qui s’est accru à un degré très considérable, entraînent avec rapidité et en raison de la pente des montagnes;
le terrain qui borde leurs lits, et viennent le déposer dans le port du Passage, leur récipient, mêlé avec leurs eaux.
Qu’on ajoute à cette cause première l’incurie
continuée pendant un demi siècle, de la part de
ceux qui ont été chargés d’entretenir ce port, et
on se rendra facilement raison de l’état actuel
du bassin du Passage. Telles sont les causes que
nous avons aperçues et telles nous les
soumettons aux yeux d’un juge qui en décidera
au premier instant.
Mas il est des personnes qui pensent qu’il est
impossible d’établir un port militaire au Passage
; elles en donnent deux raisons, la première
que les ressacs s’y font trop vivement sentir en
y causant des avaries, la seconde que le local
est trop resserré.
Les ressacs s’y font sentir, cela est vrai, mais
ceux qui renouvellent cette objection, la
présentent toujours avec tant de force, que
celui qui trace ces notes est surpris de leur
ténacité à cet égard.
On sait que lorsque les vents ont soufflé longtemps de la partie du O. N. O. et que par conséquent la mer à été vivement agitée, le
ressac se fait sentir avec force, avec violence au port du Passage.
On sait aussi qu’en Janvier 1781, par exemple, le ressac fut si violent à la suite d’un coup de temps qui avait duré plus de quarante
Jours, qu’il causa des avaries à des bâtiments qui étaient dans ce port, & qu’une gabarre du roi chargée de bois de construction, qui
y avait trouvé un asile, y éprouva des dommages, mais on se rappelle que les plus anciens pilotes du port, comme les plus anciens
marins du pays attestèrent que depuis 1725, pas un ressac n’avait été si fort ; ils l’attribuaient à l’extrême agitation de la mer et à la
durée du mauvais temps.
Il y avait à cette époque au Passage, sans y comprendre les caboteurs, cinquante trois bâtiments chargés de denrées Coloniales, qui
venaient de la Martinique, tous destinés pour les ports de France ; ils n’éprouvèrent point d’avaries. Que sérient-ils devenus s’ils
n’avaient été au Passage pendant un long coup de temps et en temps de guerre? Quand on a vu ce port treize grands mois de suite,
on a dû s’habituer à observer les ressacs, on a dû en chercher les causes et les effets. Les ressacs au Passage ne sont forts qu’aux
eaux vives & à pleine mer. Ce qui s’oppose à ce qu’ils ne se font point sentir à basse mer, ou du moins qu’ils sont moins forts, c’est
que la mer va se briser avec force contre l’Aberdin seul obstacle qu’elle rencontre à l’entrée du port.
Mais il est un moyen si non de détruire, du moins de diminuer sensiblement ce ressac ; c’est de bâtir sur l’Aberdin un mur de douze
à quatorze mètres de longueur, de neuf environ de largeur, sur quatre à cinq d’élévation au dessus de sa base. La mer trouvera
cette résistance à vaincre dans son plein comme elle le trouve dans l’état opposé ; la colonne d’eau qui viendra du large sera brisée
contre cette nouvelle masse, et le ressac ne sera pas plus agité, plus violent que pendant la basse mer, en sorte que l’on peut
penser avec raison, que les avaries causées par les ressacs aux bâtiments qui seront mouillés dans le port, seront infiniment plus
rares. Si je pensais que cette objection put avoir certain degré de véracité, je déterminerais les lieux où les ressacs se font le plus
sentir, et la cause qui les fixe plutôt là qu’ailleurs.
Ces lieux sont depuis la batterie Ste. Izabelle jusqu’à la tour St. Sebastien, c’est à dire dans l’espace le plus resserré du port et où se
trouvent toujours mouillés les bâtiments de la rade qui ont le plus de tirant d’eau.
La cause nait de ce que la rade est encombrée de sable, de vase, de terre rapportée dans le bassin, comme nous l’avons dit plus
haut, et que les vagues n’ont qu’un très court espace à parcourir. Mais si la rade était curée, que les vagues eussent un espace cent
ou deux cent fois plus grand à parcourir, elles se développeraient dans toute l’étendue du bassin ; elles diminueraient de force en
raison de tous les terrains anguleux qu’elles auraient à heurter, à rencontrer; elles ne reviendraient à la mer qu’avec infiniment
moins de force & de vitesse, et par conséquent le ressac se ferait apercevoir, mais ne causerait pas des dommages considérables.
Voilà quant à la première difficulté, les observations que je pense devoir être faites.
Voyons si la seconde est mieux fondée.
Au premier aspect, le port du Passage semble angustié[1], rétréci, resserré par les montagnes qui le bordent; mais en parcourant
avec attention toute l’étendue du bassin, on est bien détrompé de la première idée qu’on s’en est faite.
Il en est de même en parcourant le terrain qui l’environne. On voit un très grand espace depuis le chantier de la compagnie
jusqu’au magasin appelé Bordalaborda et sur lequel il est facile de former des établissements aussi étendus, aussi beaux qu’on
puisse le désirer; forges, menuiserie, corderie, voilerie, atelier de mature salle de canonnage tout peut y être grandement placé.
Dans l’état où est le port du Passage, il y a trois chantiers de construction: un appelé chantier du Roi, l’autre de la compagnie et
sage. le troisième des particuliers, connu dans le pays sous le nom de Barrachocu.
L’examen du local prouve assez que la seconde objection est infiniment moins fondée que la première, ou plutôt qu’elle est dénuée
de vraisemblance, puisqu’on peut y établir tous les magasins nécessaires pour y réunir de grands approvisionnements pour les
constructions navales, y équiper telle division que les circonstances poudroient exiger ; avant tout y former des établissements tels
qu’ils exciteraient la jalousie de nos plus cruels ennemis, les anglais.
Les avantages que ce port présente, ne se bornent point à ceux que je viens d’indiquer. L’avantage de sortir à basse mer et de nuit
du Passage, avec la même facilité que pendant le jour, doit être apprécié par les navigateurs. Les vents qui y règnent dans les belles
nuits sont de la partie de l’Est et de l’ E. S. E. et c’est le vent que les marins appellent terrall. Il vient des montagnes qui dominent
extraordinairement ce port, et qui forment un angle dont le sommet est pour ainsi dire, son entrée, vers laquelle il est
naturellement dirigé.
Si la pureté de l’air, si l’abondance des eaux limpides, si la persuasion que le climat n’y combattra rien dévoient déterminer le lieu
d’un établissement de longue durée, le port du Passage réunit ces avantages au dernier degré. On sait avec quel soin, avec quelle
facilité les navigateurs font de l’eau dans ce port: la fontaine la plus à portée se trouve à l’entrée du port dans l’endroit désigné sur
le plan de Tofiño Cale de Bursa.
Les localités peuvent faire, apprécier à l’homme curieux et observateur les endroits dans le bassin où l’on peut établir des dépôts
de bois de construction, des lieux à conserver la mâture, des fosses pour y déposer les bois d’orme propres aux ouvrages de
poulierie et d’autres établissements de ce genre attachés à l’art nautique : sur le globe, d’ailleurs, il n’est pas de position qui porte
plus à admirer, à réfléchir, à méditer que le lieu dont je viens de parler, parceque l’homme peut s’y considérer comme séparé, sous
quelques rapports, du reste des humains.
Si le gouvernement français obtenait le port du Passage, les marins fuyards, désobéissants et déserteurs n’auraient plus ce refuge
où ils se croient plus assures que dans la plus belle machine flottante du monde. Leur sécurité y est si grande, qu’ils s’y marient et
finissent par oublier leur patrie, parce qu’ils s’imaginent y avoir la liberté & du pain. Ils s’embarquent sur toute espèce de bâtiment
et sous qu’elles couleurs qu’ils naviguent. Les marins du quartier de St. Jean de Luz se rendent au Passage avec la plus grande
sécurité et agissent comme ceux qui s’y sont établis. Ce port réuni à la France, sera soumis aux mêmes lois que le reste de l’Empire,
et le régime des classes qui y est inconnu devra y être établi. Ce régime donnera des bons et nombreux marins, des ouvriers de
constructions navales, laborieux, actifs, & sobres.
Pendant l’interrègne le gouvernement provisoire avait demandé le port du Passage au Roi d’Espagne il fut prés de l’obtenir[2], on
vouloir alors y construire des vaisseaux de ligne. Un motif qui faisait agir la France était la proximité de ce port avec Bayonne, qui
réunit les bois & les matières résineuses nécessaires aux grandes constructions.
En l’obtenant on employait les matières premières, pour ainsi dire près de leur exploitation: on ne couroi plus les risques de les
faire rendre à Rochefort ; on était assuré que ces approvisionnements ne tomberaient pas au pouvoir des ennemis, et qu’on
pouvait facilement armer au port du Passage les frégates les vaisseaux qu’on serait décidé à y faire construire.
Ce que le gouvernement éphémère avait paru désirer, l’Empereur des Français peut l’exécuter s’il le croit utile à la France, à son
peuple, à son commerce et propre à contribuer à la restauration de la marine.
Si le gouvernement français établissait un port Militaire au Passage, Fontarabie qui est à l’embouchure de la Bidassoa doit être
conservé. Je ne l’envisage ici que comme un entrepôt des bois qui peuvent provenir de la Navarre, mais sous ce rapport il devrait y
être établi des magasins et quoique le gouvernement Espagnol n’ait fait parvenir à Fontarabie que des bois de construction, il est
dans l’ordre du possible que d’autres munitions navales pouraient y être dirigés. Après avoir essayé de donner une idée de l’état
actuel et de ce que peut devenir le port du Passage, il convient d’indiquer succinctement les approvisionnements maritimes qui se
trouvent dans les pays circumvoisins.
Il est important pour la France; de posséder le port du Passage, où toutes les munitions navales qui sont dans les provinces de
Navarre, de Guipuscoa et de Biscaye peuvent être facilement réunies et mises en oeuvre: Bayonne (a) peut y taire rendre les
matières résineuses qui proviennent des départements des Landes & des Basses-pyrénees: des ouvriers de profession-maritime
peuvent y être rassembles: des marins à qui le régime des classes est inconnu, poudroient y être soumis, et le nombre de ceux qui
sont du Passage à Machichaco est considérable.
Malgré la faiblesse de l’ancien, gouvernement & l’instabilité de celui de l’interrègne, ce port avait été demandé au Roi d’Espagne,
mais les prétentions et les privilèges de la ville de St. Sébastien, étaient des barrières insurmontables, et ce projet utile restait dans
l’oubli. Le Monarque qui a exécuté tant & de si grandes choses, daignera réaliser celle-ci: il apprendra toujours à l’Univers étonné, à
son grand et bon peuple, que les changements qui se sont opérés dans le Nord, ceux faits et à faire dans le midi, ne peuvent être
désagréables, contraires & désavantageux qu’aux seuls intérêts de l’avide puissance Anglaise.
à Bayonne, le onze Mars 1808,
Le sous commissaire de marine, préposé à l’Inscription Maritime et aux Armées
notes :
•
[1] Etroit.
•
[2] M r . Ilaran , Ingénieur de la Marine avait présenté en l’an 7 un mémoire à ce sujet au Ministre de la Marine & des
Colonies. L’Ambassadeur prés S. M. C. fut chargé de la demande du port du Passage.